Migration signifie direction nord au printemps, et sud, à l’automne. Alors, comment se fait-il que présentement je vois des bernaches aller vers le Nord ?
Vous avez raison, les bernaches vont vers le Nord à l’automne ! Nullement pressées d’aller vers le Sud elles préfèrent nettement musarder d’une parcelle de nourriture à l’autre. Ce n’est que lorsque leur nourriture est épuisée, ou recouverte par la neige, qu’elles se décident vraiment à partir. Elles ont aussi besoin de vastes étendues d’eau où passer la nuit loin des prédateurs. Or notre région leur offre les deux. Le lac des Deux-Montagnes et les champs aux alentours représentent une escale de choix pour ces snow-birds.
Les bernaches du Canada ont vite tiré parti des changements apportés au paysage depuis cent ans et quelques. En fait, on estime que leur nombre est plus élevé qu’avant l’arrivée des Européens. Nos pratiques agricoles ont facilité la migration de plusieurs espèces, spécialement des bernaches, qui se nourrissent des grains laissés dans les champs après la récolte. Historiquement, l’autre grand régulateur de ces oiseaux furent les maladies aviaires. Avant l’établissement de fermes et de cultures dans le sud de l’Amérique du Nord, qui ont beaucoup modifié le paysage, les bernaches s’établissaient sur une mince bande de terre le long du golfe du Mexique et de la côte est des États-Unis. Avec pour conséquence que toute maladie se propageait rapidement à travers ces colonies d’oiseaux, les tuant par milliers. Les maladies jouaient un rôle de contrôle de la population. Ce n’est plus le cas : les possibilités étant plus nombreuses, les oiseaux sont davantage éparpillés. Et une plus faible densité d’oiseaux signifie un impact moindre en terme de maladies.
Les formations de bernaches que nous voyons passer sont souvent des unités familiales. Elles restent grégaires la première année, à tout le moins aussi longtemps que les parents ne nidifient pas de nouveau. Car à ce moment-là les parents poussent les jeunes hors de leur territoire. Ces derniers se reproduiront vers l’âge de 3 ans. Dans l’intervalle, ils traîneront un peu, se nourriront et socialiseront avec d’autres oiseaux sans liens, tout en commençant à se chercher un partenaire. Les couples sont unis pour la vie. Toutefois, si l’un d’eux meurt, l’autre cherchera un nouveau partenaire.
Nous sommes très habitués à la formation en V des bernaches migratrices, de sorte que nous ne levons pas toujours les yeux en entendant leur étonnant « a-honk ». On peut distinguer les jeunes à leur cri, il ressemble davantage au jappement d’un petit chien. La prochaine fois qu’un vol passera au-dessus de vos têtes, arrêtez-vous, écoutez et voyez si vous pouvez distinguer les deux cris.
L’été dernier, j’ai eu l’immense plaisir d’observer les nombreuses familles de bernaches qui nidifient dans le Delta Marsh, au Manitoba. Chaque couple s’installait, pondait et couvait ses œufs, jusque là rien d’extraordinaire. Ce qui arrivait ensuite était fascinant. Le couple dominant adoptait tous les oisons nés à peu près en même temps que les siens, laissant les autres parents agir comme vigies pour le groupe. Certains couples ayant près de 50 oisons étaient entourés de nombreux oiseaux adultes. Tout un spectacle ! Les oisons ont ainsi de nombreuses paires d’yeux pour les surveiller, ce qui leur assure un taux de survie élevé. Et nous eûmes l’occasion d’en voir des centaines passer de la belle et touchante étape d’oison duveteux à celle d’adolescent maladroit pour, finalement, devenir de jeunes adultes presque impossibles à distinguer de leurs parents – adoptifs ou biologiques.