À la fin de l’été 2011, Le Nichoir a accueilli un grand corbeau juvénile qui avait été trouvé quand il n’était qu’un oisillon et qui avait été gardé comme animal de compagnie durant trois mois. L’oiseau était habitué aux humains, et le centre ne pouvait donc pas le relâcher avant qu’il ait développé une peur d’eux.
Même si Le Nichoir ne transfère généralement pas d’oiseau vers des foyers d’accueil, il était dans l’intérêt de ce corbeau de profiter des soins de Jim Doyle, un fauconnier professionnel qui a travaillé en étroite collaboration avec le centre par le passé. Le Nichoir savait que Jim avait les compétences et la formation pour réussir à relâcher le corbeau progressivement. Avec Jim, l’oiseau pourrait voler librement durant ce processus au lieu d’être dans une cage de vol au Nichoir.
Au cours des mois suivants, Jim a fourni des mises à jour régulières sur les progrès de l’oiseau, tant au Nichoir qu’au ministère des Ressources naturelles et de la Faune. Voici l’histoire que raconte Jim sur ce corbeau, relâché avec succès en mai 2012.
Être libre
Il est tôt et je me dirige vers le petit étang au fond de mon terrain boisé à Saint-Jérôme. J’ai été parti pendant quelques jours et je suis un peu inquiet : s’il n’était pas là ? J’entends des corneilles dans cette direction, mais je cherche à entendre son « croa, croa, croa » familier.
Je passe lentement près d’un couple de colverts dans l’étang, l’endroit favori du corbeau, et je vais vers la petite crique tout au fond. Les corneilles sont parties. Tout est silencieux. Et encore aucun signe du corbeau. Je regarde autour de son aire d’alimentation et j’observe les signes d’activité des derniers jours. La carcasse de raton laveur que j’ai laissée là est partie, mais il y a beaucoup de poils sur le sol. Je vérifie l’appareil photo automatique que j’avais mis en place : près de 200 photos depuis mon dernier passage. J’insère à nouveau la carte SD et je décide d’attendre un moment. Après tout, la matinée est magnifique.
D’abord, il me faut cacher les œufs que j’ai apportés. Je regarde autour pour m’assurer qu’il ne m’observe pas. Je cache les œufs dans le gazon, sous des feuilles, dans les buissons près de la crique.
En attendant au bord de ce joli étang forestier, je repense à tout ce qui est arrivé. À la chance du corbeau de s’être rendu jusqu’ici. À ma propre chance de faire partie de cette aventure.
Tout a commencé par un appel du Nichoir. Le centre avait un jeune corbeau et Susan Wylie, directrice générale, croyait qu’il s’agissait d’un bon candidat pour une libération contrôlée. L’oiseau était relativement en bonne condition, mais avait souffert de malnutrition et ses serres portaient des lésions. J’étais vraiment heureux de pouvoir l’aider et quelques jours plus tard, il était dans ma volière.
Mon plan de réhabilitation était simple :
Le nourrir avec des aliments naturels de la plus grande qualité.
Le faire voler en liberté le plus tôt possible.
L’alimenter, c’était facile : je pouvais obtenir une grande quantité de viande de cerf et des cailles vivantes d’un fermier local.
Préparer le corbeau pour le relâcher était plus complexe. Je devais d’abord le conditionner et lui apprendre un signal d’appel. Je devais ensuite lui apprendre à utiliser la trappe pour entrer et sortir de la volière. Troisièmement, je voulais l’habituer à porter un transmetteur radio au cas où il se perdrait durant ses premiers vols.
Le plan a bien fonctionné. Les corbeaux sont très intelligents et apprennent rapidement. Aussi après quelques semaines cet oiseau était-il prêt pour son premier vol en liberté. Le vol n’a pas été spectaculaire, mais il s’agissait d’une étape importante vers sa liberté future. C’est un jour que jamais je n’oublierai.
Les serres de l’oiseau avaient entièrement guéri à la fin de l’automne, mais comme il faisait froid, j’ai décidé d’attendre le printemps pour le relâcher.
Jusqu’au printemps, je l’ai laissé voler librement autant que possible pour qu’il développe des aptitudes qui seraient cruciales dans la nature. Mais je le rappelais toujours vers la volière pour la nuit.
L’hiver a passé et le printemps s’est déclaré hâtivement. Après des mois d’entraînement, le corbeau était prêt et j’avais un plan : je le ferais me suivre jusqu’à l’étang au fond des bois et je lui apprendrais à chercher sa nourriture. L’endroit était parfait : personne n’y va jamais, sauf une faune variée.
Mais comment lui montrer à fouiller ? J’ai caché de la nourriture pour chien autour de l’étang pendant qu’il m’observait. Dès que je m’en allais, il cherchait la moulée.
Ensuite, j’ai caché de la moulée ou des œufs quand il ne pouvait pas m’observer, pour qu’il ne m’associe pas à la nourriture. Il a appris en très peu de temps. Dès que je le laissais quitter la volière, il volait jusqu’à l’étang et fouillait pour trouver de la nourriture. Excellent !
Nous étions prêts pour la prochaine étape : le laisser passer la nuit dehors.
Ce qui m’inquiétait, c’était le petit matin. C’est à ce moment que les corbeaux sauvages sont présents, et je savais qu’ils tenteraient de chasser le grand corbeau de leur territoire.
Ses premières nuits seul dehors se sont bien passées. Et puis c’est arrivé. Il était tôt et j’entendais les appels des corbeaux sauvages. Tout d’un coup, j’ai vu le corbeau voler à pleine vitesse, avec un corbeau sauvage directement sous lui. En quelques secondes, il avait disparu. Voilà, me suis-je dit, le moment venu : je devais le trouver avant qu’ils ne le chassent trop loin. J’ai suivi le signal du transmetteur à travers les bois et je l’ai trouvé dans un pin, à un peu plus d’un kilomètre.
Après ce jour-là, je l’ai vu se cacher quand les autres corbeaux se montrent. Il semble qu’il a trouvé une façon de les éviter ou de faire accepter sa présence sur leur territoire. C’est incroyable !
Voici maintenant plusieurs jours que le corbeau a été relâché. Tandis que j’attends, en ce magnifique matin, près de l’étang, je vois finalement un mouvement à travers les arbres. Mon cœur bat plus vite : j’espère que c’est lui. Mais je vois rapidement que c’est l’une des corneilles qui fait le tour de l’étang.
Je décide de retourner à la maison et de visionner les photos de la carte SD. Grâce à ces images, je peux voir ce qui s’est passé autour de l’étang, et j’ai de quoi être surpris. Je le vois chasser des écureuils et harceler des faucons et des vautours. Je comprends surtout qu’il s’alimente et qu’il a une source de nourriture tandis qu’il apprend à trouver à se nourrir.
En retournant à la maison, en passant près d’une petite clairière, je remarque une ombre qui passe rapidement sur le sol. Je lève la tête et à ma grande joie, le voilà qui vole très haut ! Je le regarde tandis qu’il s’élance avec le vent et plonge, prenant son élan pour repartir vers le haut, jouant du vent comme un surfeur sur une vague. Je le regarde jouer dans le vent, entièrement libre, et je suis empreint d’émerveillement. De là-haut, j’entends son rire.
À ce moment, je comprends toute la chance que j’ai.
Image: Jim Doyle